24 heures du Quai du Cher 2019, à Vierzon

Rédigé par David Champelovier | Classé dans : Course à pied

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5 et 6 octobre 2019. Ma deuxième tentative sur 24h fut la bonne. 168,964 km, 5ème au classement général et, cerise sur le gâteau, victoire en catégorie V1.

Quoi, un deuxième 24h en 2019 ?!

Après ma centaine de km à Tullins en avril, j'avais décidé de m'entraîner avant de retenter ma chance en avril 2020, toujours à Tullins.

Entre-temps, j'ai cherché des courses de 6h et 12h pour engranger de l'expérience. Il n'y en a pas tant que ça, souvent loin, et finalement je n'ai rien fait.
Mais je me suis entraîné. 400 km par mois, et même 500 km en juillet.
Après ce gros mois de juillet, je m'accorde une quizaine de jours de repos relatif et je cherche une grosse course pour l'automne. Initialement, je souhaitais participer à un 100 km route: la Ronde des Eléphants, au départ de Chambéry. J'ai trouvé aussi un 24 heures à Vierzon, mais c'est trop tôt pour refaire un 24 heures... Tiens, il y a aussi un 2 x 6 heures à Vierzon, ça c'est un format intéréssant: courir pendant les 6 premières puis les 6 dernières heures de la course de 24 heures. Et puis, dans un autre style, il y a la Chartreuse Backyard, une course à élimination où un départ est donné toutes les heures.
Le 100 km route, il est début novembre donc c'est encore loin. La Chartreuse Backyard, je me dis que ça va se jouer sur le sommeil, alors ça me tente moins. Le 2 x 6 heures de Vierzon a ma préférence. Et après réflexion, tant qu'à faire le déplacement à Vierzon, autant m'inscrire sur le 24 heures, quitte à le gérer comme un 2 x 6 heures si j'en ai envie: on fait bien ce que l'on veut sur un 24 heures.

Un 24 heures pour me rassurer

On est alors à la mi-août.
L'objectif est très clair dès le départ: rester en piste pendant 24 heures, et surtout ne pas me blesser. Bref, les critères de réussite essentiels d'une épreuve d'endurance: terminer la course dans un état physique aussi proche que possible de l'état de départ, comme si l'épreuve pouvait être prolongée de plusieurs heures.
Je n'ai donc aucune idée du kilométrage que je peux réaliser. Cependant, si tout se passe comme prévu, je me doute bien que je peux atteindre les 150 km.
L'objectif de ne pas me blesser sera même un impératif: il faudra que je me débrouille tout seul sur le chemin du retour, de Vierzon à Grenoble.

Mes motivations initiales, pour participer à ces épreuves de 24 heures, étaient le dépassement de soi, la curiosité (qu'est-ce qui pousse ces athlètes à tourner en rond pendant aussi longtemps ?), repousser mes limites en course à pied. Et aussi, réaliser à pied ce que j'ai réalisé à vélo il y a quelques années, mesurer ce qui sépare souvent, rassemble parfois, cyclistes et coureurs dans cette quête de l'ultra-distance.

Et puis, dans ces ultra-marathons, je retrouve une certaine philosophie de vie. Le plaisir de l'effort de longue durée, plutôt que le désir, jamais assouvi, d'obtenir tout, tout de suite et souvent sans effort, rêve de fait inaccessible que nous vend la société actuelle. La vie est davantage une épreuve d'endurance qu'une succession de sprints. Les sprints apportent des plaisirs passagers voire furtifs, tandis que l'endurance gratifie d'un bien-être à long terme.
J'aime également le minimalisme de la course à pied. Du moins, si l'on en retire tout le business qu'il y a autour. Se retrouver seul face à soi-même pendant 24 heures, c'est une expérience beaucoup plus enrichissante que ce que la plupart des gens croient, et pour qui ces courses se résumeraient à faire le hamster pendant 24 heures.
Enfin, ces courses, c'est un peu l'éloge de la lenteur, dans un monde où tout va de plus en vite. Un champion du monde de 24h démarre à 12 km/h. C'est facile, la plupart des coureurs en sont capables. Toute la difficulté est de maintenir cet effort pendant 24 heures.

La préparation

  • La préparation physique. Il y a deux volets à la préparation physique: l'entraînement que j'ai mis en place depuis les 24h de Tullins, et l'entraînement plus spécifique à quelques semaines de l'épreuve.
    Depuis Tullins, depuis donc six mois, j'ai couru un peu plus et un peu différemment. Un peu différemment, car sur mes sorties marathon, plutôt que de chercher à boucler le marathon le plus vite possible, j'ai au contraire souvent cherché à travailler ce que l'on appelle l'allure 24h, c'est-à-dire la vitesse de départ sur une telle épreuve. Il faut s'imprégner de cette vitesse, le corps doit s'y habituer, jusqu'à ce que cette vitesse devienne naturelle. J'ai travaillé une vitesse de 10 km/h.
    Depuis Tullins, j'ai également pratiqué des exercices de gainage divers et variés. Cela a porté ses fruits, puisque le haut du corps n'a pas flanché pendant les 24h de Vierzon, et je n'y ai même pas eu de courbature par la suite, ni de mal de dos.
    Enfin, depuis Tullins, je m'étire systématiquement après chaque sortie de course à pied.
    En résumé, sur le plan de la préparation physique, rien de bien sorcier, je compte essentiellement sur l'accumulation d'entraînement pour résoudre les petits soucis que j'ai eu à Tullins, et je suis confiant. Vierzon confirmera cela.
    Concernant le plan que je mets en place à partir du 15 août, j'ai essayé d'augmenter le volume sur deux à trois semaines, sans m'en tenir à un plan strict, mais avec deux nouveautés. Premièrement, effectuer à plusieurs reprises des entraînements biquotidens. Deuxièmement, valider une sortie longue (marathon) après une grosse charge d'entraînement (de deux semaines, en l'occurrence). J'ai physiquement à peu près tenu le rythme, mais j'aurais aimé pouvoir tenir un plus gros bloc d'entraînement (j'ai culminé à un peu plus de 160 km sur 7 jours glissants), et ce sont de petits soucis physique qui ont mis fin à ce bloc, et cela quatre semaines et demi avant l'épreuve (mais peut-être était-ce une bonne chose que le bloc s'arrête là; il faut aussi savoir se ménager des périodes de repos). Concrètement, à partir de la semaine du 15 août, mes kilométrages hebdomadaires sont successivement de 64, 122, 144, 118, 116, 57 et 91 km (cette dernière semaine s'étalant entre J-13 et J-6). J'aurais aimé pouvoir maintenir deux ou trois semaines au-dessus de 140 km. La faute, notamment, à une douleur apparue au genou droit, sensible en station débout mais rarement en courant, et qui a bien failli me faire renoncer à ces 24h. Cette douleur finira par disparaître à deux semaines de l'épreuve, et ne me posera aucun problème pendant la course.
    Et, bien sûr, je ne peux pas oublier de citer le vélo dans ma préparation physique. J'en fais beaucoup moins cette année (un peu moins de 3 000 km à ce jour, contre plus de 10 000 l'an dernier), mais les séances spécifiques ont été déterminantes pour renforcer, notamment, les genoux et le dos. Cette année, la priorité a été donnée à la course à pied, pour accumuler suffisamment d'heures de course pour permettre à mon corps de s'adapter aux épreuves longues. Je verrai ce que je ferai par la suite, mais je ne suis pas persuadé de la nécessité de courir autant de kilomètres (3500 km entre début janvier et fin septembre), sauf en période d'entraînement pré-24h, et je crois que certaines séances peuvent être avantageusement remplacées par du vélo. A suivre.
  • La préparation mentale. Désolé, rien de spécifique de ce côté-là. Certains font appel à un préparateur mental. Si vous avez lu mes motivations plus haut, vous comprendrez peut-être pourquoi je n'en ai pas besoin pour ce genre d'épreuve.
  • Sommeil et alimentation. Encore une fois, rien de spécifique de ce côté-là. Je pense avoir une vie saine et équilibrée tout au long de l'année, et je suis convaincu que c'est le meilleur entraînement possible. De même que l'entraînement physique ne se joue pas sur les dernières semaines avant l'épreuve, mais sur les mois, voire les années qui précèdent, eh bien je pense que c'est pareil pour le sommeil et l'alimentation. En particulier, je ne cherche pas à faire de cure de sommeil la semaine qui précède l'épreuve, ni à manger plus, mais je fais encore plus attention que d'habitude à manger équilibré et à bien dormir.

Le plan de course

Ici, vous ne trouverez pas de plan du style: je pars à 9,8 km/h, etc. D'abord parce que je n'ai pas d'objectif en terme de kilométrage. Ensuite parce qu'un 24h, c'est long, un plan a mille occasions de partir en vrille, de plus je débute. Enfin parce que je ne me donnerai pas les moyens d'appliquer ce plan: je n'utiliserai pas de montre pour m'indiquer l'allure et je n'ai pas d'équipe d'assistance pour calculer si je suis en avance ou en retard. Bref, c'est un peu du free style, mais c'est le sport comme je l'aime.

Mon plan de course, il tient en quelques principes généraux, dont certains sont issus de mon expérience tullinoise.

  • Allure. Je partirai moins vite qu'à Tullins. J'avais parcouru 100 km en 11 heures, ce qui m'aurait permis d'approcher les 200 km, sauf que ça n'a pas fonctionné. L'essentiel étant de terminer en bonne santé, si je passe les 100 km en 12 heures, ça m'ira très bien. Et surtout, je dois limiter à tout prix les changements de rythme, et donc les arrêts, et je dois prendre les virages doucement pour ne pas déclencher les mêmes problèmes qu'à Tullins. Sur ce dernier point, j'ai trouvé le circuit de Vierzon nettement plus favorable que celui de Tullins.
    Limiter les changements de rythme, c'est dire adieu à la méthode Cyrano que j'avais tentée à Tullins, avec 1 minute de marche tous les quarts-d'heure environ.
    Enfin, un 24h est avant tout une épreuve de régularité. A l'arrivée, les meilleurs sont ceux qui ont passé le plus de temps en piste, et le plus de temps à courir plutôt que marcher. Je n'ai pas attendu la course à pied pour le savoir et le mettre en oeuvre: sur les BRM à vélo, je veillais à m'arrêter le moins possible, pour ne pas perdre de temps mais surtout pour ne pas me refroidir. Je m'attends bien sûr a devoir marcher de plus en plus au fil des heures, mais je ne mettrai pas en place de marche systématique dès le départ de l'épreuve.
  • Alimentation. Là aussi, changement majeur par rapport à Tullins. A Tullins, l'expérience sur le plan digestif n'avait pas forcément été plus difficile que pour la moyenne des coureurs, mais pas satisfaisante pour autant. J'avais bu au ravito, essentiellement de l'eau gazeuse, et mangé au ravito, uniquement par petits bouts tous les deux tours. J'avais perdu l'appétit par moments, et les intestins avaient forcé un arrêt autour de la huitième heure.
    Cette fois-ci, l'essentiel de l'alimentation viendra d'une boisson pour l'effort: Hydrixir longue distance. Je courrai presque en permanence avec un bidon à la main (ce qui, finalement, s'est avéré jouable, même si le poignet a commencé à se plaindre en toute fin de course. Je m'y étais entraîné avant la course). J'alternerai avec deux bidons, qu'il me faudra remplir d'eau (je profiterai des arrêts aux toilettes pour cela) et de poudre (que j'aurai soigneusement préparée en sachets avant la course). Le gros avantage, c'est que je bois et je m'alimente comme je le sens, sans avoir à attendre le prochain passage au ravito. Là aussi, c'est une habitude de cycliste: c'est tellement pratique d'avoir le bidon à portée de main sur le vélo, que l'on va y puiser sans compter.
    J'ai également quelques crèmes de marron et autres compotes. Pour ne pas avoir une sensation d'estomac vide, je piquerai régulièrement un peu de pain d'épice au ravito.
    Cette nouvelle stratégie d'alimentation s'est avérée payante. L'alimentation et la digestion n'ont été un soucis à aucun moment de la course !
  • Douleurs. La course à pied sur une telle durée, ce sont forcément des douleurs qui apparaissent au fur et à mesure, et qui rendent la course (voire la marche) de plus en plus pénible. Aussi, il faut arriver à faire la distinction entre ce qui est une douleur normale, c'est-à-dire une douleur sans risque de blessure et dont le cerveau peut faire abstraction, et ce qui relève de la blessure. Dans ce domaine, je suis encore novice. L'objectif est d'essayer de faire abstraction au maximum de la douleur, de repousser mes limites de ce côté-là par rapport à Tullins, tout en évitant la blessure... Une équation encore bien difficile à résoudre pour moi. Mais, comme on le verra, ça ne s'est pas si mal passé.

L'avant-course

Pendant les deux semaines qui précèdent l'événement, s'il y avait une seule chose à écrire, c'est que je suis beaucoup plus serein qu'avant Tullins.
Avant Tullins, j'étais en permanence à la limite: à la limite de mes capacités à l'entraînement (limites sans cesse repoussées pendant les dernières semaines), et finalement à la limite de m'inscrire ou non à l'épreuve.
Cette fois-ci, je suis confiant dans le fait que mon entraînement portera ses fruits, et résoudra à lui seul l'essentiel des problèmes rencontrés à Tullins. Et je me dis que quoi qu'il arrive d'ici le jour J, je ferai la course avec les moyens du bord. C'est ça aussi, le sport: savoir s'adapter en fonction de la condition physique et mentale du moment.
L'avant-dernière semaine avant l'épreuve n'aura rien de particulier, et je ne réduirai même presque pas le volume d'entraînement, si ce n'est qu'il n'y aura pas de sortie longue cette semaine-là. La dernière sortie longue (un marathon) aura eu lieu à trois semaines de la compétition. Un petit rhume me contraint à trois jours d'interruption à 16 jours de l'épreuve, ce qui fut l'occasion d'un repos bienvenu.
La dernière semaine est légère, mais je cours quand même tous les deux jours (dimanche, mardi, jeudi), à chaque fois une heure à 10 km/h.

Cependant, à trois jours de l'épreuve, la fébrilité monte. Je ne suis plus trop sûr de quoi que ce soit. Un peu comme un lycéen la veille du Bac. Mais je sais que tout s'arrangera lorsque la course commencera.

Et puis, il y a cette alerte la veille. Dès que je marche plus de cinq minutes, mon talon droit se plaint. Je passerai sagement l'essentiel de l'après-midi à l'hôtel, au repos, en espérant que ça passe, mais cela perturbera ma nuit, qui ne fut pas la meilleure nuit que l'on puisse passer à la veille d'un 24h. Mais j'avais l'habitude, à vélo, des veilles de BRM 300, ces randonnées où il faut se lever à 1h du matin pour être au départ à 4h, où de fait la nuit est très courte, et ces BRM 300 se sont toujours très bien passés...

La course

Nous voilà le jour J, dans l'action, et tout va mieux. Le talon droit ne fera, bizarrement, plus du tout parler de lui...

J'arrive sur place autour de 9h, le départ est à 11h, l'attente est toujours longue. Nous sommes une quarantaine, j'apprécie les épreuves où il n'y a pas trop de monde. L'année prochaine, ce sera le championnat de France, il y aura 200 concurrents !
Autre point particulier, très appréciable sur ce 24h: le circuit, d'environ un kilomètre, passe autour et à l'intérieur du hall d'exposition. Le ravitaillement s'effectue donc à l'abri (des intempéries et du froid).
La météo est idéale pour moi. Le temps s'annonce couvert, ce qui signifie une faible amplitude thermique entre le jour et la nuit. Il pourrait pleuvoir par moments, mais rien de bien méchant, sauf peut-être en toute fin d'épreuve.
Je fais connaissance avec Jean Coxo, 73 ans, c'est son trente-troisième 24 heures ! A plus de 60 ans, il a une fois dépassé les 200 km.

Le départ est donnée depuis la Mairie (que nous rejoignons en marchant), et nous avons un peu moins d'un kilomètre à parcourir avant de rejoindre le circuit proprement dit.

Assez rapidement, j'ai la future gagnante en ligne de mire: Karine Zeimer. Elle fait partie des concurrents que j'ai repérés et que je ne dois pas dépasser: elle sait courir 200 km sur 24 heures, je sais que je ne ferai pas 200 km aujourd'hui, donc je dois rester derrière elle pour ne pas partir trop vite.
Son rythme est régulier, et à un peu moins de 10 km/h l'allure me convient parfaitement. Sans ce véritable métronome, je n'aurais pas su réguler mon allure aussi bien. Ceci va durer 3h30, jusqu'à ma première pause (pour les bidons notamment; elle, bénéficie d'une équipe d'assistance).

Les première heures passent assez vite. Je fais connaissance avec Samuel, mon voisin de table, qui malheureusement abandonnera en soirée. L'avantage de ces épreuves lentes, c'est qu'on a suffisamment de souffle pour discuter avec les autres concurrents, et que le temps passe plus vite ainsi. Je discute 6 Jours de France avec un concurrent qui alterne marche et course. Et puis, je découvre des visages déjà vus à Tullins, dont une concurrente avec un maillot de l'Ultra Tour du Beaufortain. Il s'agit de Marie-Line Mantoux, dont je reconnais également l'un des deux membres de son équipe d'assistance, qui tourne à l'envers autour du circuit en nous encourageant, il avait fait la même chose à Tullins ! Elle me donnera du fil à retordre en soirée, en me dépassant trois ou quatre fois en peu de temps, allant jusqu'à me rattraper au classement. L'occasion de faire connaissance. Nous connaîtrons ensuite des fortunes diverses.

Je commence à avoir mal aux jambes au bout de cinq heures de course, ce qui est déjà mieux qu'à Tullins. A ce stade, la douleur est très peu gênante et semble progresser lentement. Bref, le cerveau peut gérer cela.
Mais les jambes sont de plus en plus raides. De mémoire, je me suis arrêté une première fois pour la poudre de mes bidons pendant la quatrième heure. Je me suis alors assis sur ma chaise, et il ne fut ensuite pas difficile de me relever. La deuxième fois, pendant la sixième ou septième heure, je me suis également assis, et c'était déjà plus difficile de me relever ! A partir de la fois suivante (neuvième heure, je crois), je ne me suis plus du tout assis.

Vers la fin de la septième heure, je partage un bout de circuit avec Karine Zeimer. L'occasion de discuter un peu. Je ne regarde pas trop le classement à ce stade (et surtout pas le kilométrage), mais Karine est troisième et je suis dans le même tour que le cinquième.
A partir de là, il me faut commencer à gérer certaines choses. La moindre pause (aux toilettes par exemple) m'oblige à repartir en marchant, avant de recommencer à courir après quelques dizaines de mètres. Heureusement, ce seront là mes seuls passages de marche avant de nombreuses heures encore !
Il y a aussi la question des pieds. A Tullins, je m'étais arrêté après 11 heures de courses pour m'en occuper. On connaît la suite: j'avais abandonné au tour suivant. Cette fois-ci, je veux à tout prix éviter cette pause au bout de onze heures. Alors j'imagine dans un premier temps faire deux pauses, l'une au bout de 8 heures et l'autre éventuellement au bout de 16 heures. Sauf qu'après 8h30, je fais bien une pause pour les bidons, mais finalement je ne m'occupe pas de mes pieds. Les heures passent. J'attends 12 heures de course. Et puis, les pieds commencent à faire mal, j'ai peur de ce que je vais y découvrir. Alors je décide de ne pas du tout m'en occuper, du moins pas avant qu'il y ait une grosse alerte. Ce n'est peut-être pas très raisonnable, mais en même temps, à Tullins, au bout de 11 heures, mes pieds étaient dans un état très convenable, et y remettre de la crème fut plutôt un luxe.

Lors de ce fameux arrêt aux 8h30, j'ai un peu étiré certains muscles. Et ce, pour la dernière fois, car j'ai eu une alerte devant le tibia gauche dans les tours suivants. En adaptant légèrement ma foulée, la douleur a finalement disparu. A Tullins, j'avais eu la même chose au tibia droit, et cela avait occasionné une blessure. Comme à Tullins, la peau a gonflé et rougi en bas des tibias, devant. Etant donné que cette fois-ci il n'y a pas eu de suite, je range ceci dans la liste des effets indésirables mais sans gravité des longues distances en course à pied...

Je constate le franchissement des 100 km après 11h30 de course environ, une bonne demi-heure plus tard qu'à Tullins, seulement. A partir de là, je vais commencer à faire des estimations de nombres de kilomètres. Chaque kilomètre supplémentaire est un bonus.

On a maintenant dépassé les 12 heures (la mi-course, déjà !), et je vais faire deux découvertes agréables.
La première, c'est que je n'ai pas sommeil du tout. Comme à vélo. Aucune lassitude. Aucune envie de m'arrêter davantage. Alors, certes, la nuit n'est pas le moment où l'on a le plus d'énergie: les hormones font leur travail ! Mais j'avance bien quand même.
La deuxième découverte, c'est que je continue de passer l'essentiel du temps à courir. Il y aura bien une fois, au milieu de la nuit, où je ferai la totalité de la ligne droite extérieure à l'enceinte du parking du hall en marchant. D'ailleurs, je ne sais plus trop pour quelle raison j'ai fait cela, peut-être pour faire redescendre le niveau de douleur des jambes et des pieds. Ce sera la seule fois jusqu'au lever du jour.

Côté déconvenues, je découvre que certes, je cours, mais de moins en moins vite. Ce n'est pas le chrono qui me dit cela (je ne regarde pas mes temps au tour, seule l'heure m'intéresse, le temps qui passe), ni le classement (je suis troisième au classement à partir de la quinzième heure), mais le fait que j'ai (subjectivement ?) de plus en plus de mal à rattraper ceux qui marchent. Et lorsque moi je marche, ils marchent plus vite que moi.

Vers la fin de la nuit, les jambes font de plus en plus mal, et les pieds s'y mettent aussi (surtout le droit, à chaque fois que je le pose sur le sol en courant). Mais les perspectives sont bonnes: à 6 heures de l'arrivée (les trois-quarts de la course !), je suis troisième au classement avec plus de quatre tours d'avance sur mes poursuivants. De plus, les 180 km sont largement jouables. Et puis, vers 4h du matin, à 8 heures de l'arrivée, j'ai un regain de forme, qui devrait être confirmé avec la nuit qui se termine et les 2 x 6 heures qui reprennent la piste. D'ailleurs, les concurrents du 2 x 6 heures encouragent chacun d'entre nous à leur retour, ça fait du bien au moral !

Et puis, il y a cet épisode, dont je ne saurais dire à quelle heure il s'est produit. Sans doute pas plus tard que 4 heures avant la fin, et pas plus tôt que 6 heures avant.
Alors que j'ai de plus en plus de douleurs à chaque foulée et que mon cerveau fait le maximum pour les ignorer, non seulement je peine à rattraper les marcheurs, mais cette fois-ci j'ai un marcheur qui me rattrape. C'est un peu énervant, mais j'ai encore du jus pour accélérer alors j'accélère, non sans avoir préalablement regardé le numéro de dossard du marcheur: 44, des fois qu'il ne serait pas loin derrière moi au classement. Je le sème. Je crois qu'à ce tour-ci, je n'ai pas pu voir le classement, car l'affichage alternait entre les classements 24 heures, 24 heures duo (c'est-à-dire relais à deux), et 2 x 6 heures. Mais au tour suivant, j'ai pu voir le classement: j'étais toujours 3ème, et le 4ème était... le dossard 44 !!
Alors certes, à ce stade, je crois que j'avais deux tours d'avance sur le 44, mais dans la tête, ça fait mal. J'ai accéléré, mais je sens bien que je ne pourrai pas rester longtemps à cette allure-là.

Au fil des tours, je pressens que les 180 km seront inaccessibles. Mais aussi, que la troisième place va certainement s'envoler. Je suis de plus en plus lent en courant; pourquoi est-ce que je m'acharne encore à courir ? La douleur atteint les limites du supportable. Le simple franchissement de la ligne de chronométrage devient compliqué: il y a des câbles qui passent sur toute la largeur de la piste et qui sont protégés par deux ralentisseurs (ceux qui servent pour les voitures) de quelques centimètres de haut et peut-être 30 cm de large. Je ne peux plus allonger la foulée pour les éviter: allonger la foulée étirerait douloureusement les jambes, et l'appui de pied qui suivrait serait plus douloureux. Alors je cours dessus, mais le simple fait de devoir m'élever de quelques centimètres pour retomber juste derrière, est douloureux également...

A 3 heures de l'arrivée, je craque: je décide de ne plus courir. Alors je marche, et je marche lentement parce que je ne suis pas capable de mieux. Tous les marcheurs me dépassent. Je parcourrai une petite douzaine de kilomètres pendant ces trois dernières heures. C'est mieux que rien, je reste en piste, j'avance.
Je reçois de plus en plus d'encouragements, mais franchement je me sens super bien, même si je donne l'impression d'avancer à deux à l'heure dans la souffrance. C'est juste que je ne suis plus en mesure de courir.
La pluie fait son apparition environ deux heures avant la fin, et on termine sous des trombes d'eau.

Est-ce que c'est la tête qui a abandonné, ou bien les jambes (et les pieds !) ? Sans doute les deux. Il est vrai que lorsque j'ai arrêté de courir les 160 km étaient tout proches, ce qui n'est pas si mal, que je me sentais encore bien (hormis le niveau de douleur en courant, l'énergie était encore là), que mon objectif était atteint et que je ne voulais rien gâcher. Précisément, mon kilométrage était déjà plutôt bon, l'objectif de passer 24 heures en piste était presque atteint, et je ne me sentais pas blessé. Je n'allais pas gâcher ce résultat, pour mon premier 24h, moi qui, au mois de janvier dernier, n'avais encore jamais dépassé en course à pied la distance... du marathon ?! Aujourd'hui, j'en ai enchaîné quatre, des marathons.
A Tullins, j'essaierai de prendre plus de risques (c'est plus facile à domicile; cela dit, c'est plus facile à dire qu'à faire).

C'est avec surprise que j'ai ensuite reçu une coupe pour ma victoire dans ma catégorie d'âge. Je ne m'y attendais pas, et il est vrai que j'aurais préféré une coupe pour un podium au classement général, podium qui me tendait les bras à quelques heures de l'arrivée (je termine finalement cinquième).

Repos

Qu'en est-il de ces pieds, si douloureux à la course pendant les dernières heures ? Ils sont restés bien raides pendant des heures, et ils sont surtout restés gonflés (ainsi que les mollets) pendant quatre à cinq jours (ce qui n'était pas douloureux en marchant). Pour ma prochaine tentative sur 24 heures, j'ai deux pistes. La première, c'est que, comme pour tous les autres pépins physiques, l'entraînement finira par régler ce problème: mes pieds finiront par s'adapter. La deuxième, c'est qu'il faut que j'apprenne à marcher vite et longtemps. Marcher permet de soulager les pieds, et la marche n'est pas forcément plus lente que la course en fin d'épreuve.
Pour le reste, les courbatures ont été moins fortes qu'après Tullins (ou peut-être est-ce parce que j'y étais, cette fois-ci, mentalement préparé ?). J'ai pu rentrer de Vierzon (dont la gare n'est absolument pas accessible pour les personnes à mobilité réduite, j'ai réussi avec brio la descente des escaliers !) le lendemain sans problème. Une fatigue générale s'est installée à partir du mardi, le jeudi j'ai repris le vélo pour réveiller les muscles, le vendredi la fatigue s'était essentiellement résorbée. J'ai repris progressivement la course à pied à partir de samedi.

Les objectifs que je m'étais fixés ont été atteints. En m'inscrivant à Vierzon, j'avais déjà en tête les 24 heures de l'Isère 2020, à Tullins. Vierzon devait être un tremplin pour Tullins. Vierzon aurait aussi pu être l'occasion d'une nouvelle déconvenue, heureusement il n'en a rien été. Dès le lendemain de la course, tout courbaturé mais pas blessé, je repensais déjà à Tullins 2020.
J'ignore quelle sera ma progression d'ici là, mais les 180 km devraient être accessibles. Les 200 km, par contre, semblent encore compliqués à atteindre. Il est de toute façon bien difficile de prédire un kilométrage: une épreuve de 24 heures est faite pour être vécue, elle a sa propre histoire et celle-ci ne s'écrit pas à l'avance. Rendez-vous à Tullins, le premier week-end d'avril 2020.

Résultats et classement

Il n'y a rien de plus sérieux qu'une épreuve de 24 heures. Au même titre que des disciplines comme le 100 mètres ou le 10 000 mètres, le 24 heures est reconnu au niveau national et mondial. Les prochains championnats du monde se dérouleront d'ailleurs en France, fin octobre à Albi. C'est aussi la raison pour laquelle le niveau n'était pas particulièrement relevé cette année à Vierzon: les meilleurs seront à Albi trois semaines après. Plusieurs concurrents du 2 x 6 heures s'entraînaient ici pour Albi: cette épreuve était sans doute pour eux la dernière sortie longue, et elle était idéalement placée dans le calendrier par rapport aux championnats du monde.

Ne dites pas à mes professeurs de sport du collège et du lycée que je cours 24 heures, et qu'à ce titre je suis référencé dans la base des athlètes de la Fédération Française d'Athlétisme... Ils risqueraient de faire une crise cardiaque. J'étais nul en sport, sauf peut-être en endurance, que je me souviens avoir choisi pour le Bac, et où j'étais simplement... mauvais.

L'évolution du temps par tour, au fil des tours, est toujours intéressante à analyser a posteriori. Les temps au tour ont été distribués au format papier lors du repas d'après-course.
On y voit:

  • Ma parfaite régularité sur les 40 à 50 premiers tours. C'est la partie facile, le mal aux jambes n'est pas encore là, il n'y a pratiquement pas besoin de faire de pause, et en cas de pause il est possible de repartir tout de suite en courant.
  • La dérive intervient vers le 60ème tour. Ma dérive est certainement trop importante pour une telle épreuve d'endurance, mais rien de catastrophique non plus.
  • Les quatre tours où la forme semble repartir, vers 4 heures du matin (140 tours). Finalement, c'était un pétard mouillé.
  • Les trois dernières heures en marchant lentement, à moins de 4 km/h, mais qui ont permis de boucler quand même une bonne dizaine de tours supplémentaires !

Je ne pourrais conclure cet article sans remercier l'équipe d'organisation et tous les bénévoles. Ce n'est pas un hasard si cette même équipe organisera à Vierzon, les 10 et 11 octobre 2020, le championnat de France, et ce pour la troisième fois en 11 éditions.
L'an prochain, championnat de France oblige, il y aura 200 participants. Je ne suis pas sûr d'y être: je crois qu'il faut obligatoirement être licencié pour participer aux championnats de France d'athlétisme. L'ambiance sera moins familiale, mais ce sera une ambiance de championnat de France.
Les encouragements de la part des autres concurrents furent précieux; j'en ai également distribué un paquet à chaque tour. Merci Karine, Steeve, Julia, Marie-Line, Ray, Jean, Samuel et tous les autres. Merci aussi à leurs équipes d'assistance, avec une mention spéciale à l'équipe de Marie-Line et à celle de Karine. J'ai hâte de tous vous retrouver sur une prochaine épreuve, à Tullins ou ailleurs.

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