24 heures de l'Isère 2019

Rédigé par David Champelovier | Classé dans : Course à pied

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24 heures de l'Isère à Tullins, ou mes débuts dans le monde de l'ultra-marathon...

Il y a un an, je ne savais même pas qu'il existait des épreuves de 24 heures de course à pied.
Il y a trois mois, je n'avais encore jamais couru 40 km.
Il y a un mois, je décidai qu'une participation aux 24 heures n'était pas complètement stupide.
Il y a deux jours, j'ai concrétisé ce rêve complètement fou. Et j'y retournerai.

Comment en suis-je arrivé là ?

Je cours depuis une dizaine d'années. Au départ, c'était en complément du vélo, pour l'hiver. Jusqu'à 1000 km par an. Dès qu'il faisait beau, je sortais plutôt le vélo que les baskets, alors ça limitait mon entraînement de course à pied, ainsi que ma progression.
J'ai bien essayé d'ajouter du dénivelé et d'allonger les distances, mais je me suis très longtemps heurté à mes limites. Je me souviens de terribles courbatures en 2014 après mes premières sorties de 2 heures. A chaque fois, c'était la même chose: une semaine pour m'en remettre. Ce fut ainsi jusqu'en 2016-2017. Je m'étais mis en tête que la course à pied ce n'était pas pour moi, que mon corps n'était pas fait pour ça.

Et puis la situation s'est débloquée naturellement, sans même y penser. En 2017 et 2018, j'ai couru plus fréquemment, souvent plusieurs jours de suite, et j'ai pu allonger les distances. 2400 km par an pour ces deux années. J'en suis arrivé à pouvoir enfin courir 20 km sans avoir besoin d'une semaine de récupération. Aujourd'hui, je peux courir 20 km par jour presque tous les jours, à condition de ne pas les courir à une allure de semi-marathon, bien entendu.

20 km par sortie, 2400 km par an, c'est pas mal mais on est encore loin de l'ultra-marathon.
J'ai pensé m'inscrire à un marathon en 2018. Mais il y a deux choses qui me rebutent: ces épreuves affichent complet des semaines à l'avance, et il y a bien trop de monde pour moi qui n'aime pas la foule. Alors je me suis promis de tenter un marathon en off, un jour, c'est-à-dire en solo avec ma poche à eau sur le dos...
L'occasion s'est présentée pendant l'hiver 2018-2019. Moins envie de vélo, et toujours cette envie de longue distance à pied qui me titille malgré mes difficultés passées. Je me chronomètre sur un semi-marathon en décembre, puis je cours mon premier marathon fin janvier, avec un résultat plutôt rapide, de bonnes sensations et une récupération en quelques jours.
Alors vient l'envie de recommencer. Le premier dimanche de mars, de manière tout à fait improbable, je prends mon sac et pars pour courir 50 à 60 km. Tout à fait improbable car premièrement il faisait un temps idéal pour faire du vélo, et deuxièmement, ayant couru 20 km la veille, je n'avais pas particulièrement bien préparé mes jambes pour courir 60 km. Non seulement j'ai couru mes 60 km, mais surtout j'y ai pris beaucoup de plaisir: j'ai enfin retrouvé à pied les sensations que je connais à vélo, celles de pouvoir poursuivre l'effort pendant des heures sans que rien ne puisse m'arrêter. Et j'ai couru vite: 60 km en 5h05. Et en trois jours, j'avais parfaitement récupéré.

Nous sommes alors à moins de 5 semaines des 24 heures de l'Isère. Je le sais, car c'est sur mon calendrier. C'est sur mon calendrier car j'ai suivi la course avec beaucoup d'intérêt l'an dernier, et je compte bien la suivre de nouveau cette année. Je l'avais suivie, car Olivier, avec qui j'ai fait pas mal de vélo dont des BRM il y a quelques années, y participait. Et avec une magnifique performance à la clé (plus de 200 km), surtout pour une première participation.
Là, tout s'enchaîne très vite. Avec 300 km en janvier et 300 km en février, je constate que mon entraînement est tout à fait compatible avec une participation aux 24 heures. Les 400 km de mars achèveront de confirmer cela. Les week-ends s'enchaînent, les longues sorties aussi, et la récupération est toujours bonne à excellente. Une sortie de 30 km sera passée à discuter avec Olivier de ses 24 heures de l'an dernier. Il avait posé son sac, chaussé ses baskets, et couru. Point. Et au final ça avait fait 200 km. J'aime quand c'est aussi simple. Je finis par m'inscrire au dernier moment, à une semaine de l'épreuve, malgré les incertitudes côté météo.

Derniers préparatifs

A ce stade, n'ayant jamais couru plus de 5 heures et m'apprêtant à courir 24 heures, je pars dans l'inconnu mais je pense pouvoir anticiper un certain nombre de mes points forts et de mes points faibles:

  • Les pieds. Point fort ou point faible ? Je ne sais pas. Je n'ai jamais rien fait de particulier à mes pieds pour pouvoir courir longtemps. Cela fait des années que je n'ai pas eu d'ampoule, ou du moins qu'elles ne m'ont pas gêné. Les sorties longues récentes ont juste laissé quelques irritations, parfois une ampoule que je n'ai pas eu besoin de traiter. Et de petits hématomes sous les ongles (sans doute parce que j'ai couru avec des ongles trop longs). En fait, mes pieds se sont faits au fil du temps. OK, mais 24 heures c'est autre chose. Comme il serait trop bête de devoir abandonner pour cause d'ampoule ou autre irritation aux pieds, je mets toutes les chances de mon côté. Une semaine avant la course, j'applique quotidiennement la crème la plus célèbre dans le monde du trail. Jusqu'au jour de la course, où j'y passe encore plus de temps, en me massant longuement. Eh bien cela aura fonctionné à merveille. Mon petit orteil gauche, qui était devenu mon point faible sur les dernières sorties longues, qui commençait à chauffer au bout de deux heures, n'a pas bronché le jour de la course.
  • Les muscles et les tendons. Plutôt un point faible. Certes, j'ai pu accumuler 1000 km en trois mois sans le moindre soucis, mais en fin de sortie longue, je sens que je suis un peu à la limite, même si la récupération a été rapide à chaque fois. 24 heures, ce sera compliqué. C'est là ma plus grande inquiétude. Surtout l'inquiétude d'atteindre un point de non-retour: la blessure. Comment savoir quand est-ce que je dois m'arrêter ? Quel niveau de douleur dois-je accepter de supporter sans tout casser ?
  • La gestion de l'effort. Clairement un point fort, à condition de partir doucement. 10 km/h maximum. La gestion de l'effort, elle me vient des longues distances à vélo. Bien s'hydrater régulièrement, dès le départ. Bien manger, dès le départ aussi. Manger peu à la fois, sinon c'est le coup de barre assuré, voire les problèmes digestifs. Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas besoin de beaucoup manger sur ce genre d'épreuve où l'on brûle exclusivement de la graisse. Le cerveau a besoin de sucre, mais les muscles brûleront de la graisse, et si l'alimentation a été équilibrée pendant les semaines précédant l'épreuve il n'y a aucune inquiétude à avoir. Le repos de la dernière semaine achève naturellement le remplissage des réserves, sans avoir besoin de recourir à des goinfreries de veille ou d'avant-veille d'épreuve.
  • Le mental. Plutôt un point fort, de mon expérience des BRM. On me dit que l'on s'ennuie à tourner en rond sur un circuit d'un kilomètre. Je suis persuadé que je ne m'ennuierai pas, et cela se vérifiera.

L'épreuve

Brisons tout de suite le suspens, afin de ne pas fausser la lecture du court récit de ma course. Mon unique objectif était de passer un maximum de temps en piste (si, si), mais je n'y ai passé qu'un peu plus de 11 heures, et au bout de 12 heures j'étais dans le train du retour.

Nous sommes entre 70 et 80 au départ. Le genre d'épreuve plutôt confidentielle, donc, et ça, ça me plaît beaucoup. Et surtout, je suis impressionné par la grande variété des concurrents. Je le savais un peu à l'avance, mais vécu de l'intérieur, c'est encore autre chose. Le doyen a 80 ans et il parcourra plus de 138 km. Il y a des jeunes et des moins jeunes, des gros et des maigres, des marcheurs et des coureurs, des concurrents qui marcheront tout le long, d'autre qui alterneront course et marche, des coureurs avec assistance et d'autre sans, etc. Trouvez moi d'autres compétitions sportives avec autant de variété... Il suffit de mettre ses chaussures (dépareillées pour certains, des tongues pour d'autres !) et de marcher ou courir. Et surtout ne pas se fier aux apparences: la plupart d'entre eux auront l'immense mérite de terminer l'épreuve, et impossible de prédire à l'avance, rien qu'en les observant, quel sera le classement final de chacun. Voilà ce qui m'a occupé pendant le temps que j'ai passé sur le circuit: observer les stratégies, les démarches, ces concurrents tous très différents mais qui n'avaient qu'un objectif en tête: tenir 24 heures.

Mis à part ça, je gère mon départ comme prévu. J'utilise ma montre sur les deux premières heures pour ne pas dépasser les 10 km/h. Je règle mon rythme de ravitaillement et d'alternance course/marche: après quelques hésitations (ravitaillement à chaque tour sur les premiers tours), je décide de me ravitailler tous les deux tours et d'en profiter pour marcher environ une minute. Plus tard, je déciderai de ne marcher qu'à partir du ravitaillement, plutôt que de commencer un peu avant. De nombreux tours s'enchaînent sur mon rythme de croisière. Sur le circuit mesuré à 1025 m, j'alterne des tours à 6 minutes (sans ravitaillement) et des tours à 6'30" ou 7' (ravitaillement et marche).
Les quadriceps commencent à se faire sentir au bout de 3 heures de course seulement. En courant à 10 km/h, ce n'est pas normal, car cela ne m'arrivait pas à l'entraînement en courant pourtant nettement plus vite et plus longtemps. A ce moment-là, je sais que c'est une difficulté et que ça ne va pas aller en s'arrangeant, mais je reste entièrement concentré sur l'objectif. Je vais faire avec. Il y aura en effet moyen de courir encore de nombreuses heures dans cet état.
L'alimentation et l'hydratation se passent bien. J'ai un peu trop mangé pendant les premiers tours, alors il est arrivé par la suite que la nourriture ait un peu de mal à descendre. Mais cette sensation n'a jamais été tenace ni, donc, gênante. J'ai par la suite réduit les rations et privilégié des aliments qui passent mieux comme des morceaux de pomme. Je n'ai surtout pas cédé à la tentation du premier plat chaud (purée) ni du deuxième (des pâtes je crois).
Côté alimentation, une petite alerte intestinale est arrivée après 7 heures, ou 8 heures, je ne sais plus très bien. Passage obligé aux toilettes, et l'occasion de me rendre compte que les quadriceps sont vraiment, vraiment mal en point. Mais ça repart sans trop de problème. Je fais attention à bien me réhydrater après ça. Il ne fait pas chaud donc pas trop de risque de ce côté-là. Il a plu quelques gouttes, mais pour moi les conditions sont presque idéales. Certes, le vent est un peu pénible. J'ai commencé la course en court et avec les manchettes, j'ai laissé les manchettes assez rapidement pour les reprendre avant les premières gouttes, puis j'ai sorti le k-way et je me sens bien comme cela.
On approche les 10 heures de courses. Mes temps au tour sont désormais plutôt de 6'30" à 7" pour les tours sans ravitaillement, et pas loin de 8 minutes (voire plus pour certains tours) pour les tours avec ravitaillement. Ce rythme de croisière me convient assez bien, mais la transition marche-course est de plus en plus difficile après les ravitaillements. Et même la marche devient compliquée, en ce sens qu'elle n'est plus tout à fait reposante pour les muscles.
Les places, elles, se grapillent vite, à ma grande surprise. Cela fait un moment que je suis dans le top 10. Je conserve ma 7ème ou 8ème place malgré la pause aux toilettes et mon allure qui faiblit. J'apprends l'abandon du favori de l'épreuve.
Déjà bientôt les 100 km ! Vers les 90 km, je décide que je ferai une pause à 100 km ou 100 tours pour prendre soin de mes pieds. Il me semble avoir un début d'ampoule au niveau du tendon d'Achille gauche. Je suis 5ème au classement après 11 heures de course, avec 100 km au compteur. Finalement j'attends de franchir les 100 tours. Je m'installe, repasse soigneusement de la crême sur mes pieds pour affronter la deuxième moitié de la course. Bonne nouvelle: les pieds sont en excellent état. Une légère gêne sous le talon gauche, et un ongle d'orteil un peu sensible, toujours au pied gauche. Mais cela signifie aussi une mauvaise nouvelle: il n'y a pas d'ampoule au niveau du tendon d'Achille, c'est le tendon lui-même qui se plaint... J'ai dû rester assis au stand 5 minutes, et quand je repars c'est l'enfer pour tous les groupes musculaires. Beaucoup de mal à marcher. J'essaye de trottiner. Olivier, qui suivait le live, écrira sur les réseaux sociaux que ma foulée n'était pas très aérienne lors de ce passage sur la ligne... Je fais un tour comme cela, je ne sais plus très bien si c'était en marchant ou en trottinant, mais même en marchant ça continue à faire mal alors je m'arrête de nouveau aux stands au tour suivant. Je regarde l'horaire des trains sur mon téléphone: dernier train à 22h09, il est un peu plus de 21h15, aller je n'ai plus rien à faire ici. Je remballe mes affaires, je valide mon 101ème tour en rendant ma puce.

Il est toujours difficile de savoir si l'on a eu raison d'abandonner ou non. La phase la plus intéressante sur ce type d'épreuve, c'est la nuit. J'étais venu pour cela, et là, la nuit a eu à peine le temps de commencer. Si je me suis soigneusement occupé de mes pieds après 100 tours, c'était pour repartir pour 100 autres tours. Mais il y a un moment où il faut se rendre à l'évidence. On peut avoir des hauts et des bas, mais quand les muscles et les tendons sont cuits, en course à pied, il faut savoir s'arrêter. J'aurais aimé pouvoir continuer à marcher toute la nuit, juste marcher, mais même cela j'en étais incapable.
Mon retour confirmera cela: la moindre marche à descendre dans les transports fut un calvaire. Pour le dernier km jusqu'à chez moi, à pied, il m'a fallu de longues minutes pour arriver à me remettre à marcher. J'ai suivi le live de la fin de la course le lendemain, et en constatant la fraîcheur musculaire de ceux et celles qui tentaient alors le record du tour, je me suis dit que je n'avais pas de regret à avoir: mes jambes n'étaient pas faites pour tenir 24 heures ce jour-là.
Inversement, je rassure le lecteur sur le fait que je me suis semble-t-il arrêté suffisamment tôt pour ne pas me blesser. En effet, deux jours après l'épreuve, je peux marcher (lentement mais longtemps), et les bobos devraient se guérir tout seuls avec un peu de repos.

Merci à l'organisation, aux bénévoles, et à tous les participants. C'est une épreuve à laquelle on s'attache. Un circadien (on appelle ainsi les coureurs des épreuves de 24 heures) ne fait qu'une à deux épreuves de ce type par an. Ce qui fait qu'à Tullins, il y a pas mal d'habitués. Je reviendrai, pour y reprendre une dose de plaisir, et peut-être aussi de revanche.
A la question de savoir si j'avais ou non réellement l'envie et les capacités de terminer cette épreuve... L'envie, oui, les capacités peut-être pas. J'ai repoussé un certains nombre de barrières en course à pied ces derniers mois, et celle-ci arrivait un peu tôt. L'avantage, c'est que j'ai accumulé de l'expérience en vue de ma prochaine tentative. Et puis, mine de rien, je n'avais jamais couru plus de 60 km (et même 40 km il y a juste deux mois et demi !), et là je franchis les 100 km d'une seule traite, comme si de rien n'était (hormis les soucis musculaires). Alors non, je ne regrette pas d'avoir tenté ce challenge.

Merci à tous ceux qui m'ont directement ou indirectement motivé pour participer, à ceux qui m'ont suivi et encouragé pendant l'épreuve via les réseaux sociaux, à Olivier pour ses précieux conseils (je compte sur ta participation l'an prochain), à Anne-Marie qui a fait le déplacement en soirée exprès pour nous encourager, à la championne Carole pour ses encouragements et ses conseils sur la piste, et à tous les autres participants sans qui cette épreuve serait effectivement juste une succession de tours de circuit à mourir d'ennui, or c'est tout le contraire de ce que j'ai vécu.

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