7360 mètres de dénivelé positif pour 239,5 km. J'ai choisi ce samedi de septembre pour estimer la quantité maximale de dénivelé positif que je peux encaisser en une journée. C'est mon premier test de ce genre, et le lieu choisi est mon terrain d'entraînement à longueur d'année: le balcon de Belledonne.
Exceptionnellement, cet article ne comporte pas de photos car je n'en ai pas pris aujourd'hui.
Jusque-là, mon record de dénivelé sur une journée était de 5550 mètres, établi à l'occasion de mes quatre montées de Chamrousse le 27 mai dernier. Ce jour-là, j'étais resté sur ma faim car une cinquième montée était possible, même si j'en avais initialement planifié quatre, mais l'orage m'avait interrompu dans mon élan. J'aurais alors frôlé les 7000 mètres. Mais les records sont faits pour être battus, de plus j'aime bien prendre mon temps dans ma progression. Les cinq Chamrousse, ce sera sans doute pour 2013.
Commençons par une petite parenthèse concernant le calcul du dénivelé positif. Parmi les données chiffrées d'une sortie à vélo, la seule qui soit fiable est le temps total écoulé. Toutes les autres sont approximatives, et certaines encore plus que d'autres. Il suffit de comparer les compteurs au terme d'une sortie en groupe: personne n'a les mêmes données. Si je termine une sortie avec 201 km au compteur, en réalité peut-être n'ai-je même pas dépassé les 200 km. Même pour un compteur bien étalonné, un paramètre comme la pression de gonflage du pneu avant influera sur la précision de la mesure.
Le calcul du dénivelé positif est encore plus approximatif, pour deux raisons.
La première est inhérente au mécanisme de mesure utilisé par nos compteurs, à savoir l'altimètre barométrique. On l'étalonne au point de départ, mais après ? La pression atmosphérique en un lieu donné varie naturellement au cours de la journée. L'évolution météorologique la fait également varier. En altitude, les choses se compliquent encore davantage. En saison estivale, mon compteur situe le col du Galibier à moins de 2600 mètres d'altitude au lieu de 2642 mètres en réalité. Je vous déconseille d'essayer de vous y rendre en hiver à vélo, mais ce qui est sûr c'est qu'au contraire, mon compteur a tendance à surestimer les altitudes en montagne en hiver. Si vous effectuez plusieurs montées dans la journée, ces erreurs s'accumulent.
La deuxième raison est un problème d'échantillonnage. Pour calculer un dénivelé positif ou négatif, on procède toujours de la même façon: le parcours est simplifié (discrétisé, diront les scientifiques) en un certain nombre de points, généralement tous espacés de la même manière (par exemple un point toutes les 5 secondes pour un compteur de vélo, un point tous les 100 mètres pour Openrunner, etc.), puis pour chaque point on regarde si l'altitude est supérieure à celle du point précédent, si oui c'est du dénivelé positif que l'on ajoute au dénivelé positif total. Si les points ne sont pas assez espacés, une petite bosse sur la route passera inaperçue et le dénivelé sera sous-estimé. Pour un compteur de vélo, si les points sont trop proches, le dénivelé pourra au contraire être surestimé, un simple coup de vent suffisant à créer une surpression ou une dépression locale susceptible de modifier l'altitude mesurée.
Les nombres ne sont que des nombres, mais tout ça pour dire que le dénivelé positif est peu précis. Disons qu'il est juste à 10% près. La sortie du jour, avec beaucoup de dénivelé, n'échappe donc pas à la règle. Mon compteur indique 7359 mètres de dénivelé positif au terme de la sortie, mon GPS (qui ne dispose pas d'un altimètre barométrique cela dit, mais qui mesure l'altitude assez précisément quand il a suffisamment de satellites en vue, ce qui est en général le cas des sorties sur route) indique 8053 mètres, et si j'injecte ma trace GPS dans Openrunner, celui-ci recalcule le dénivelé en fonction des données cartographiques dont il dispose, et il trouve 6952 mètres.
Je n'attacherai donc qu'une faible importance à ces nombres et, s'il ne faut en retenir qu'un, je choisis les 7359 mètres du compteur. Utilisant toujours le même compteur, cela me permet de comparer cette sortie à toutes les autres.
Revenons à cette sortie riche en dénivelé. Il y a plusieurs semaines que j'avais ce projet en tête, et j'étais presque prêt à me résigner à le repousser à 2013. Il faut des conditions particulières pour le réaliser: pas trop chaud, pas trop froid en altitude, des nuits pas trop longues, une journée entière disponible (voire plus, car il faut se lever tôt et ensuite il faut pouvoir récupérer), une forme optimale, quelques sorties longues dans les semaines qui précèdent, et du repos les jours précédents (pas de sport).
En juillet ainsi que pendant la première quinzaine d'août, j'ai privilégié les sorties courtes et à fond pour préparer une grimpée à laquelle je n'ai finalement pas participé pour cause de canicule. Le plaisir avant tout. Ensuite, la période des congés, avec l'accumulation d'efforts physiques, ne pouvait comporter une période de repos suffisante avant et après.
J'ai donc choisi ce samedi 15 septembre, précédé d'une semaine de repos physique (reprise du travail !), et j'ai même repoussé (aux calendes grecques ?) ma reprise de la course à pied. Cela fait trois mois que je n'ai plus couru, et depuis que j'ai commencé la course à pied en 2008, je ne me suis jamais arrêté plus de 3 semaines. La reprise risque d'être douloureuse.
J'ai tracé une ébauche de parcours en début de semaine, que j'ai finalement laissée de côté. L'avantage d'avoir un parcours prédéfini, c'est d'essayer de s'y tenir et ainsi de remplir son objectif. L'inconvénient, c'est d'avoir un carcan, or aujourd'hui je me sens libre comme à chaque fois que je roule sur les route du balcon: j'improvise. Sans feuille de route, je sais aussi que c'est la porte ouverte à la paresse.
Cependant l'objectif est clair: atteindre 7000 à 8000 mètres de dénivelé positif. En me basant sur mes quatre Chamrousse, j'estime ma vitesse de progression à 450 mètres de dénivelé positif par heure, pauses et descentes comprises, ce qui ferait 15h30 à 18h de sortie. Il me faudra donc obligatoirement rouler de nuit. Si partir très tôt le matin de ne pose pas de problème, en revanche je redoute la tombée du jour, qui en général coïncide avec l'arrivée brutale de la fatigue et donc la baisse de vigilance, surtout après une longue journée de vélo. Ce type de sortie, si elle est exigeante pour sa grande quantité de dénivelé positif, l'est encore plus pour les descentes car 7000 mètres de dénivelé négatif, ce n'est pas rien, une erreur d'inattention arrive vite, avec les conséquences qu'on imagine. Je décide de partir à 3h, comme je l'ai fait les 25 mars et 23 juin à l'occasion des deux brevets de 300 km de Grenoble. Au mieux, je roulerai vite et/ou je trouverai le courage d'affronter la nuit au retour, et alors je dépasserai les 8000...
Avec 443 mètres de dénivelé positif horaire, j'atteins pratiquement l'objectif initial, malgré un incident qui m'a retardé en cours de route. Cela dit, je n'ai que 1h20 de pause pour 15h18 de vélo (soit un temps total de 16h38), ce que je trouve convenable. Certains diront que c'est peu. Sur des sorties d'une journée, je n'ai guère besoin que d'une pause à la mi-journée pour manger (une vingtaine de minutes), plus toute une série de pauses très courtes mais qui, cumulées, prennent du temps. Je ne m'arrête jamais au cours d'une montée, sauf obligation. Les descentes doivent suffire pour la récupération. J'y ai réfléchi en roulant aujourd'hui: si je fais des pauses trop longues, j'aurais trop peur de ne pas pouvoir repartir. Une pause, ce sont les muscles qui se refroidissent et qui durcissent, les articulations qui se grippent, le cœur qui perd le rythme, et la tête qui n'est plus concentrée sur l'objectif. A chaque fois il est difficile de repartir. Ces questions, je me les pose beaucoup moins quand je roule en groupe. Mais seul, je me tiens à une certaine rigueur. Cette stratégie ne fonctionnera peut-être pas pour des efforts d'une durée plus longue, où les pauses s'imposeront même si je ne les souhaite pas. Et quand une pause s'impose, c'est trop tard. D'ailleurs, pour moi qui ai l'habitude de ne pas faire de pause, une pause forcée serait vécue comme un échec, donc un pas vers l'abandon. Il faut savoir faire des pauses préventives, ce que je ne sais pas encore faire quand je roule seul.
Avant le compte-rendu détaillé, voici un aperçu de mon parcours:

En s'aidant d'Openrunner, on distingue successivement:
- la montée de Venon depuis Gières, suivie des Quatres Seigneurs, à l'endroit puis à l'envers, soit 2000 mètres de dénivelé pour occuper la nuit,
- la montée, plus douce, de Murianette vers le Pinet d'Uriage puis la Croix de Pinet, avec retour à Domène via Revel,
- la montée à Freydières (1130 m) depuis Domène, en passant par Revel et le col du Rousset, une montée difficile dont il m'arrive de faire une partie au chrono, puis retour par la même route,
- la montée au col des Mouilles (1021 m) depuis Lancey, via Sainte-Agnès, très difficile au début avec des passages à 12% et de longues portions à 10%, puis retour par la Boutière, Laval, Froges,
- la montée à Prapoutel (1320 m) depuis Froges via le col des Ayes, très régulière et relativement facile, retour par la même route,
- la difficile montée au col de la Croix des Adrets (ou col d'Hurtières, 871 m), qui m'a marqué physiquement, puis retour par la route du balcon (Prabert, col du Lautaret, col des Mouilles, etc.) jusqu'à Venon où j'ai pu apprécier mon petit mur favori avant la descente qui m'a déposé pratiquement à ma porte.
L'essentiel des montées a été effectué avec un développement de 30x28 de manière à ne jamais forcer. Pour une sortie deux fois moins longues et sur les mêmes routes, je me serais contenté du 30x24. J'ai tout de même forcé dans le col d'Hurtières.
Venon, Quatre Seigneurs: passer la nuit
Avant de prendre le départ de cette folle balade, je sais que la nuit sera déterminante. Arriver à se lever à 2h, ensuite arriver à ne pas trainer pour partir à 3h alors que rien ne m'y oblige, à la différence des brevets de 300 km où je m'étais inscrit à l'avance. Puis affronter, seul (à la différence des brevets), la nuit noire pendant 3h30, dans le froid et en environnement pas toujours favorable car je dérange les animaux nocturnes et aussi les fêtards qui rentrent chez eux.
La montée de Venon, j'ai l'habitude de la faire de nuit, mais en général quand j'arrive en haut je jour point. Pas aujourd'hui, où la seule lumière provient des étoiles et parfois des rares lampadaires. La lune, presque nouvelle, ne m'aidera pas aujourd'hui. Je connais cette route par cœur. Après une courte descente je décide de pousser jusqu'au Pinet d'Uriage où se trouve une fontaine. Je n'ai pas vraiment besoin d'eau, mais constate que l'eau ne coule pas. Je me dis alors que la fontaine ne coule peut-être pas la nuit. Il n'en est rien. Je repasserai dans la journée pour constater que l'eau a été coupée et que c'est le cas dans toutes les fontaines de la commune de Saint-Martin-d'Uriage: la fontaine du village, et la fontaine sur la route qui relie Saint-Martin à Saint-Nizier, entre autres. C'est bien dommage. Je ne peux que remercier la commune de mettre ces fontaines à disposition, mais je me souviens avoir pu prendre de l'eau au Pinet d'Uriage beaucoup plus tard dans la saison 2011. Cette fontaine a été mise en service à la mi-mai et arrêtée avant la mi-septembre... ça fait un peu court quand même, l'hiver n'est pas encore là, d'ailleurs ce n'est même pas encore l'automne. C'est bien dommage car cette fontaine du Pinet constitue un pivot pour mes sorties habituelles: j'arrive par Venon ou par Murianette, et je repars vers Pont-Rajat ou les Seiglières... et ce, quelle que soit la saison.
Je fais demi-tour et descends sur Uriage, pour traverser le rond-point et remonter vers Herbeys puis les Quatre Seigneurs.
La remontée sur Villeneuve-d'Uriage offre de sérieux pourcentages de pentes au début. A cet instant, sur une route que je connais moins bien et sans signalisation horizontale, je me rends compte qu'il est pénible de rouler uniquement avec ma frontale (CatEye HL-EL110) en montée. Je n'utilise pas mon gros éclairage Philips en mode éco car il perturbe mon compteur (or j'ai vraiment besoin de connaître mon dénivelé aujourd'hui !), je m'en sers uniquement à sa puissance maximale (où il ne perturbe pas le compteur) dans les descentes et ponctuellement aux intersections et pour croiser des véhicules. Il me faudra investir dans une lampe de puissance intermédiaire. Disons, une lampe avec une autonomie d'au moins 10 heures, avec un faisceau assez large, et assez puissant pour y voir à 30 mètres ce qui n'est pas le cas de ma frontale.
En basculant aux Quatre Seigneurs, j'ai une vue fantastique sur l'agglomération grenobloise et ses lumières de toutes les couleurs. Tout est calme à cette heure.
A Gières, je fais demi-tour pour effectuer exactement le même parcours dans l'autre sens. La nuit commence à se faire longue. La température au compteur descend jusqu'à 7 degrés. Ce n'est que dans les derniers lacets de la descente vers Uriage que les montagnes à l'Est sont dominées par des lueurs jaunâtres et non plus bleues. Ouf ! Petit moment, sinon d'euphorie, du moins de grande satisfaction: la nuit est terminée.
Je remonte sur Saint-Martin-d'Uriage, où il y a beaucoup plus de voitures qu'il y a deux heures. Je m'arrête dix minutes à la fontaine du Pinet où il n'y a toujours pas d'eau. Il est 7h30, j'ai dépassé les 2000 mètres de dénivelé malgré les descentes prudentes, et j'ai donc droit à ma première crème de marrons (une par tranche de 2000). Le temps de changer les piles du GPS (qui ne servira aujourd'hui qu'à enregistrer ma trace) et de réfléchir à la suite du parcours, et c'est reparti pour la descente de Venon.
Murianette, le Pinet et une petite frayeur
La montée suivante est celle de Murianette. En fait, c'est la deuxième montée vers le balcon après Venon, en allant vers le Nord. Le début est pentu mais jamais impressionnant, et la suite est ponctuée de courtes descentes.
A hauteur de la Pérérée (un lieu-dit de Murianette, vers 600 mètres d'altitude), je rencontre une petite chienne qui est adorable mais un peu trop attachante, venant me renifler les mollets pendant que je pédale. Préoccupé par les va-et-viens de la chienne, dans un virage je suis surpris au dernier moment par un camion qui recule suffisamment vite pour me précipiter à freiner d'urgence. Dans l'urgence, je ne trouve pas le moyen de dégager la chaussure de la pédale et chute lamentablement du côté gauche. Si la chienne vient s'enquérir de la situation, en revanche le conducteur du camion, qui a tout vu dans ses rétroviseurs, ne daigne pas sortir de sa cabine et poursuit sa route. Il n'est pas responsable car je suis tombé tout seul, mais il aurait au moins pu me demander si tout allait bien. Mon coude est éraflé à travers la manchette et j'aurai un joli bleu au fémur. Rien de grave. Le vélo est légèrement éraflé lui aussi (pédale, manette, blocage de roue arrière). Aucune roue n'est voilée, ouf ! La chaîne a déraillé sur le petit plateau, le dérailleur ne suffit pas pour la faire revenir et je dois y mettre les doigts. En faisant tourner le pédalier, je sens qu'il y a quelque chose qui touche mais je ne sais pas quoi.
Je repars. Je me dis qu'en remettant la chaîne, il s'est peut-être formé un point dur sur celle-ci et que ça disparaîtra au fil des kilomètres. Je fais l'inventaire de toutes mes vitesses et toutes passent sans le moindre soucis, mais le bruit s'accentue, quelle que soit la vitesse engagée. Je m'arrête quelques centaines de mètres plus loin mais ne vois rien. Je décide de monter jusqu'au Pinet, puis j'aviserai. Soit la sortie s'arrêtera là, soit j'irai faire un détour chez Routens, qui n'est pas encore ouvert à cette heure... la balade prend une mauvaise tournure.
Au Pinet, je prends mon temps pour écouter, regarder. Je tâte les maillons de la chaîne un par un et ne constate rien. Puis je finis par comprendre ce qui cloche. Le long du cadre, derrière le pédalier, il y a une plaque métallique. Cette pièce est sans doute là pour éviter d'abîmer le cadre en cas de déraillement. Sauf que là, le déraillement a tordu cette plaque, qui vient maintenant frotter sur le petit plateau. Si ce n'est que ça, alors je suis rassuré. Avec mes doigts, je parviens à la détordre de manière à ce qu'elle ne frotte plus du tout. A mon retour, il faudra que j'y regarde de plus près.
Je repars, mais franchement, je ne suis plus vraiment dans le coup. L'objectif suivant est de redescendre sur Domène, où je trouverai de l'eau, via Pont-Rajat. En venant de Pont-Rajat, je dois tourner à gauche pour descendre à Revel, mais je vois des cyclistes qui montent, c'est un vrai raidard de 500 mètres à cet endroit. L'envie est trop forte et je m'engage dans le raidard. Je dépasse les cyclistes un par un, debout sur les pédales. Non, je ne suis vraiment plus dans le coup. Un tel effort, sur une sortie de quatre ou cinq heures, ça passe. Sur une sortie de 15 heures où la régularité prime, c'est complètement déplacé. Ça valait bien la peine de partir ce matin à 3h pour se casser les jambes à 9h30.
En haut du raidard, je fais demi-tour pour rejoindre Domène.
Domène, Revel, le Rousset, Freydières: la réconciliation
Je fais le plein d'eau à Domène, le premier de la journée !
Puis je m'engage dans la montée, avec pour objectif de monter jusqu'à Freydières.
C'est l'heure de la réconciliation. Réconciliation avec le vélo. Réconciliation avec moi-même. Concentration sur l'objectif. J'évacue les pensées noires. Je contemple le paysage. Je monte à mon rythme. Il commence à faire chaud et je rabats les manchettes. Cette montée aussi, je commence à la connaître par cœur. Quand je parviens au niveau du raidard de tout à l'heure, je suis sur le 30x28 à 8 ou 9 km/h, contre 13 ou 14 km/h lors de mon premier passage. Voilà qui est sage.
Au Rousset, je tourne à droite en direction de Freydières, point de départ de randonnées pour les Grenoblois. Ainsi, je croise de nombreuses voitures. Dans mes pensées, je me dis qu'ils sont bêtes de monter, c'est un cul-de-sac là haut, la preuve, il y en a qui s'en sont déjà rendu compte et qui redescendent. Je me ravise car moi aussi, je vais en faire des demi-tours aujourd'hui...
Là-haut, il est onze heures passées, j'ai 3950 mètres de dénivelé positif dans les jambes et je décide qu'il est grand temps de faire une pause sandwich. Je trouve une souche d'arbre perchée et m'y installe. La pause durera 25 minutes.
Pourtant, malgré les efforts et le fait que le dernier repas remonte à ce matin à 2h, je n'ai pas vraiment faim. J'avale ma deuxième crème de marrons (eh oui, voici la deuxième tranche de 2000 !) pour assurer le transfert des calories, puis avale mon sandwich 500 calories. En fait, je n'aurai pas vraiment faim de toute la journée. Encore une fois, j'ai emporté deux fois plus de nourriture que nécessaire. Je n'aurai pas le moindre début de fringale. Il est vrai que mon apport calorique se fait par anticipation. Je suis parti avec deux bidons saturés d'Hydrixir. J'ai 340 g de crème de marrons, soit peut-être 900 calories. Et puis je mange régulièrement des barres de céréales, mais moins aujourd'hui que d'autres fois.
La digestion est rendue difficile par les variations de température. Les descentes sont fraiches, et dans les montées il faut se dépêcher de boire à nouveau pour ne pas de déshydrater. Un exercice que je réussis plutôt bien, mais ça ballonne le ventre.
Autant il faisait bon à Freydières, à 1130 mètres d'altitude au soleil, autant le début de la descente sur Domène est bien frais.
Lancey, Saint-Agnès, col des Mouilles: à mi-parcours
Redescendu dans la vallée, je me retrouve une nouvelle fois à improviser. Je continue vers le Nord. Plus je m'éloigne de chez moi, moins je connais les montées. Le prochain élu s'appelle le col des Mouilles. Je crois que c'est pour cette raison que j'ai laissé sur ma droite la montée vers Saint-Mury-Monteymond. Il est possible d'enchaîner cette montée avec Pré Long, un coin que j'affectionne mais avec un dernier lacet qui est terrible et qui me grillerait les jambes aujourd'hui. J'aurai suffisamment de montées plus au Nord pour ne pas avoir à me casser les dents sur ce nouveau raidard.
C'est au niveau du collège de Lancey que je tourne à droite. Je me souviens de cette route. Elle commence par des pentes à 12% puis ça reste à 10% pendant un certain temps. Il faut attendre Sainte-Agnès, 650 m d'altitude, pour que ça se calme. On est alors au pied du col des Mouilles qui se gravit en tournant à gauche. Il reste alors 250 mètres de dénivelé. Par ce versant, j'ai beaucoup plus souvent gravi ce col en venant de St-Mury-Monteymond, par la route classique Uriage-Allevard.
Belledonne depuis l'un des hameaux de Sainte-Agnès, une photo datant du 18 février 2012:

Le col des Mouilles est franchi sans vaciller. Je bascule sur la Boutière, où je tourne à gauche pour redescendre sur Laval par une route encore jamais empruntée. J'évite ainsi la remontée casse-pattes vers Prabert, qui aurait certes ajouté du dénivelé supplémentaire et m'aurait permis d'atterrir également à Laval.
Avant d'atteindre Laval, il me faut remonter un peu après avoir franchi le ruisseau du même nom. C'est là que, pour la première fois de la journée, j'ai terriblement mal aux genoux à froid. Même en danseuse, il n'y a rien à faire, le redémarrage est difficile.
Plutôt que de descendre à Brignoud, je tourne à droite en direction de Froges, par une route que, de nouveau, je ne connais pas. Cela me permet d'atterrir au pied de la montée de Prapoutel. J'évite ainsi toute jonction par la départementale de la vallée, et je maximise le ratio dénivelé / kilomètres car ça va remonter tout de suite...
Grimpée de Prapoutel: un passage obligé
Lorsque j'avais dessiné un parcours possible en début de semaine, j'avais inséré la montée de Prapoutel. C'est l'opportunité d'ajouter plus de 1000 mètres de dénivelé d'un coup à mon compteur. Et puis, comme j'ai laissé Chamrousse de côté pour les raisons décrites plus haut, je ne peux pas en plus ignorer les Sept-Laux.
Je me sens bien, je monte à ma vitesse de croisière sur une route qui me convient bien à cet instant de la sortie: une montée régulière, sans gros pourcentage. A l'arrivée au sommet en 1h34, je vais naturellement exploser le record de la grimpée... établi le week-end dernier en un peu plus de 43 minutes. Forcément, en peloton, ça va beaucoup plus vite. Bon, d'accord, il y a peut-être autre chose.
Peu après le village des Adrets, j'ai un couple de cyclistes en ligne de mire. Lui, fait régulièrement des allers et retours dès qu'il a pris un peu d'avance sur sa compagne. Je poursuis à mon rythme mais, inévitablement, je les rattrape. Comme je vois que la cycliste a un peu de mal, je leur souhaite du courage en les dépassant, absolument sans la moindre ironie. Lui me répond que c'est la digestion. Pas besoin de justification, chacun roule à la vitesse qu'il veut. Ils essayent de prendre ma roue en parlant de fractionné. Moi aussi je pourrais essayer de me justifier car j'ai largement dépassé les 5000 mètres de dénivelé positif et je suis sur le vélo depuis 3h ce matin. Mais je ne le fais pas. Et d'ailleurs, qui me croirait ? Le gilet jaune et la frontale, ce n'est pas une preuve suffisante. Ça commence à faire la course et donc ça m'agace. Je plante une petite accélération pour leur faire comprendre qu'ils me gênent. Malheureusement, il me faudra les dépasser une deuxième fois car je m'arrêterai au col des Ayes pour remplir les deux bidons. Le ciel est complètement couvert au-dessus de Prapoutel si bien que je dois me couvrir en montée. Monsieur est monté torse nu, je lui souhaite bien du courage s'il doit ensuite faire la descente.
Je ne traîne pas et m'engage dans la descente où il fait vraiment froid. La pause suivante aura lieu à Froges, où je m'accorde une pause de cinq minutes ainsi que la crème de marrons des 6000, que je ne mérite pas car je suis plus proche des 5500 que des 6000. La pause, elle, est méritée car sur les quatre dernières heures, depuis le sandwich de midi, je ne comptabilise que 5 minutes d'arrêt (arrêt bidons à Domène, pause technique vers Sainte-Agnès, arrêt bidons au col des Ayes). Plus de 1800 mètres de dénivelé ont été engrangés depuis. J'ai dépassé de peu mon record de dénivelé à ce jour. L'essai est marqué, il reste à le transformer.
Dès que je me suis engagé dans la montée du col des Mouilles, je savais que j'enchaînerais avec Prapoutel puis Hurtières, si toutefois ma forme le permettais. J'avais calculé que, au col d'Hurtières, ça me ferait pas très loin de 6500 mètres de dénivelé, et qu'il ne serait pas nécessaire d'engager une montée supplémentaire. En effet, je serais alors suffisamment loin de chez moi pour ajouter une quantité non négligeable de dénivelé rien qu'en rentrant par la route du balcon. Quantité certes insuffisante pour atteindre les 8000, mais les possibilités sont ensuite multiples pour ajouter du dénivelé près de chez moi: soit prendre à gauche au Pinet pour rejoindre les Seiglières et même monter jusqu'à Chamrousse, mais c'est peu probable aujourd'hui car il fera sans doute nuit pour la descente, soit rentrer par les Quatre Seigneurs...
Si j'avais dû ajouter une montée supplémentaire au-delà d'Hurtières, ce qui aurait été nécessaire si je n'avais pas fait deux fois les Quatre Seigneurs ce matin, j'aurais sans doute grimpé le col des Ayes par Theys, avec ses trois kilomètres mémorables au-dessus de Theys. Aujourd'hui, je suis bien content d'y échapper à ce stade de la sortie. Mais ce qui m'attend, là, tout de suite, n'est pas forcément simple non plus.
Hurtières et la barre des 6000
Quelques kilomètres d'une route bruyante séparent Froges de Tencin, où je tourne à droite au panneau qui indique Hurtières à 6 km.
J'ai découvert cette montée il y a deux ans, mais mes passages ici se comptent sur les doigts d'une main. Cette route ne laisse pas indifférent. Les premiers kilomètres, à l'ombre, sur une route étroite et à 10% de pente, on ne les oublie pas. Certes, nombreuses sont les routes qui grimpent au balcon de Belledonne et qui grimpent fort au début. En plus des montées pratiquées aujourd'hui, on peut citer la montée à Prabert, via Laval, depuis Brignoud. Mais la montée d'Hurtières a une saveur particulière pour moi, un parfum de chasse aux cols qui avait redémarré en 2010 (j'étais alors allé chercher le col de la Croix de Theys en plus de celui d'Hurtières). Et aujourd'hui, je passe ici les 6000, après plus de 13 heures de balade.
Le soleil, qui était réapparu au cours de la descente de Prapoutel, a maintenant disparu sur le balcon.
Ce seuil des 6000 mètres de dénivelé positif aura eu sur moi l'effet d'un aimant répulsif. J'ai souffert dans la montée d'Hurtières, d'une façon dont je ne me souviens pas vraiment mais je crois que la fatigue était générale. Tout était difficile. Puis, on le verra, au-delà du col l'aimant m'a repoussé bien au-delà des 6000 mètres dans un nouvel élan.
Les fameux 6000 mètres sont franchis dans le village d'Hurtières, à la hauteur de la fontaine d'eau potable précisément, à quelques kilomètres du col mais ces kilomètres sont bien plus roulants.
Au sommet, je m'arrête. Je me sens vidé. Je pense à redescendre directement dans la vallée à Froges, et rentrer par cette même vallée. D'ailleurs, à un cycliste qui me demande si je redescends sur les Adrets, je lui réponds que oui. Je prends le temps de faire le point. J'avale la dernière crème de marrons, bien en avance sur les 8000, mais je n'ai pas le choix car je ne peux pas avaler grand chose d'autre. Le temps est gris. Il fait frais. Je crains l'arrivée de la pluie. Il est 17h10. Il m'a fallu une heure pour gravir à vitesse fulgurante les 600 derniers mètres de dénivelé.
Et puis je me raisonne. Je suis prêt à faire les efforts nécessaires pour gravir chaque mètre de dénivelé supplémentaire. Je vais rentrer par le balcon comme prévu. Et dans le cas où ça n'irait plus du tout, le balcon comporte autant d'échappatoires qu'il y a de montées qui y mènent.
Le balcon de Belledonne, ou bouquet final du feu d'artifice
La courte descente du col d'Hurtières rejoint la route Froges-Prapoutel entre deux hameaux des Adrets. Je prends à gauche pour remonter. Au sommet de la route, je ne fais pas de détour à gauche par le col des Ayes car je n'ai plus besoin d'eau. La suite est faite de bosses dont je connais l'enchaînement. Il n'y a jamais plus de 150 mètres de dénivelé à la fois. Ce rythme me convient bien, je retrouve une certaine tonicité dans les relances en danseuse. Je me surprends à dépasser à nouveau les 700 m/h de vitesse ascensionnelle. Je parviens de nouveau à manger.
Je franchis le col du Lautaret puis le col des Mouilles, et à Saint-Mury-Monteymond je surveille la fontaine qui, elle, est en service toute l'année, jusqu'à nouvel ordre. Puis arrivent la croix de Revollat, le Petit Mont où le cabot agressif n'est pas assis au milieu de la route (et ça ne me manque pas), le Mas-Julien, le Naysord. Le Naysord marque la dernière véritable ascension du jour. Pas loin de 200 mètres de dénivelé, mais en deux fois. Et c'est au début de cette montée que le compteur dépasse les 7000 mètres de dénivelé.
Le soleil transperce les nuages, mais on voit bien qu'il va bientôt passer derrière eux, et surtout, derrière le Vercors. J'ai du punch pour la remontée sur la Croix de Pinet, Pinet, avant de tourner à droite pour retrouver Mon Petit Mur Adoré au pied duquel je me présente fièrement aujourd'hui. Et je lui fais honneur, en danseuse sur les trois portions qui l'exigent.
La descente se passe prudemment. Les voitures que je croise ont déjà leur éclairage. Il est 19h45 quand j'arrive chez moi, bien content d'en avoir terminé.
Je suis normalement fatigué (pour une sortie de ce style), mais pas exténué. Physiquement, l'accumulation des montées et des forts pourcentages m'a fatigué le dos (qui fait un peu mal le lendemain en écrivant ces lignes), les genoux sont un peu douloureux aussi mais tout ceci aura complètement disparu en deux jours.
Je suis surtout impressionné par les capacités d'endurance du corps humain. Ces capacités sont uniquement acquises par l'entraînement car je n'ai aucune prédisposition pour cela: il n'y a aucun sportif dans ma famille, j'ai moi-même commencé doucement le vélo en 2006 à 26 ans révolus et je ne faisais pas ou très peu de sport auparavant. On dirait que cette endurance n'a de limite que l'entraînement que l'on décide d'y mettre, et ça fait un peu peur car il arrive un moment où l'on vous considère comme un fou (et non seulement un passionné, même si la différence entre les deux est d'ordre philosophique). Pour se lever à 2h pour faire 7000 mètres de dénivelé dans la journée, il faut sans doute l'être un peu.
Atteindrai-je un jour les 8000 mètres de dénivelé positif en une journée ? Oui, très certainement. L'occasion se représentera. Je n'étais pas préparé aujourd'hui à affronter de nouveau la nuit après l'avoir subie pendant 3h30 ce matin. Je ne dirais pas que cette balade a été une formalité, loin de là, ni que je suis capable de gravir 7000 mètres en claquant dans les doigts, mais toujours est-il que cette balade m'a demandé moins de préparation, et exigera moins de repos, que ne l'exigeait une unique montée de Chamrousse en 2003, 2004, 2005, voire 2006. C'est la quatrième fois cette année que je dépasse les 4990 (ah, les nombres !) mètres de dénivelé positif dans la journée (quatre Chamrousse, BRM 300 Madeleine-Glandon-Matheysine, BRA avec Yann, et aujourd'hui). Je pense avoir encore une marge de manœuvre.
Enfin, pour bien comprendre ce qui a motivé cette sortie, il faut aller jeter un œil du côté du 1000 du Sud, 1000 km et 16 000 mètres de dénivelé positif, ou encore du Dauphiné Gratiné, 600 km et 13 000 mètres de dénivelé. Plus que d'autres épreuves d'endurance, ces randonnées avec beaucoup de dénivelé me fascinent. J'ai eu la chance de pouvoir accompagner la semaine dernière, dans le Vercors et sur une toute petite partie de leur parcours, d'abord Pascal Be., ensuite Yann, tous deux engagés dans la difficile épreuve des 1000 du Sud, sur trois jours. Tous deux ont brillamment réussi. J'admire ce qu'ils font, et leur expérience est très enrichissante.
Je me sens encore très loin de pouvoir terminer de telles randonnées, mais j'y travaille et ça me motive. Il reste des obstacles, et je ne suis pas sûr de pouvoir les franchir un jour mais je n'en ferai pas un drame. En attendant, j'ai pris du plaisir à rouler aujourd'hui et c'est bien là l'essentiel.
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